10/03/2012

Fig. 2.—Appareil volant de Besnier. Reproduction par l'héliogravure de la figure du Journal des sçavans (1678).


























"A, aisle droite de devant. — B, aisle gauche de derrière. — C, aisle gauche de devant. — D, aisle droite de derrière. — E, fisselle du pied gauche qui fait baisser l'aisle D, lorsque la main gauche fait baisser l'aisle C. — F, fisselle du pied droit qui fait baisser l'aisle D lorsque la main gauche fait baisser l'aisle C.

Cette machine consiste en deux bastons qui ont à chaque bout un châssis oblong de taffetas, lequel châssis se plie de haut en bas comme des battants de volets brisés.

Quand on veut vôler, on ajuste ces bastons sur ses espaules, en sorte qu'il y ait deux châssis devant et deux derrière. Les châssis de devant sont remués par les mains, et ceux de derrière, par les pieds, en tirant une fisselle qui leur est attachée.

L'ordre de mouvoir ces sortes d'aisle est tel, que quand la main droite fait baisser l'aisle droite de devant marquée A, le pied gauche fait baisser par le moyen de la fisselle E l'aisle gauche de derrière marquée B. Ensuite la main gauche, faisant baisser l'aisle gauche de devant marquée C, le pied droit fait baisser par le moyen de la fisselle l'aisle droite de derrière marquée D, et alternativement en diagonale.

Ce mouvement en diagonale a semblé très bien imaginé, puisque c'est celuy qui est naturel aux quadrupèdes et aux hommes quand ils marchent ou quand ils nagent; et cela fait bien espérer de la réussite de la machine. On trouve néanmoins que, pour la rendre d'un plus grand usage, il y manque deux choses. La première est qu'il y faudroit adjouster quelque chose de très léger et de grand volume, qui, estant appliqué à quelque partie du corps qu'il faudroit choisir pour cela, pust contre-balancer dans l'air le poids de l'homme; et la seconde chose à désirer seroit que l'on y ajustât une queüe, car elle serviroit à soutenir et à conduire celuy qui voleroit; mais l'on trouve bien de la difficulté à donner le mouvement et la direction à cette queüe, après les différentes expériences qui ont esté faites autrefois inutilement par plusieurs personnes.

La première paire d'aisles qui est sortie des mains du sieur Besnier a esté portée à la Guibré, où un Baladin l'a acheptée et s'en sert fort heureusement. Presentement, il travaille à une nouvelle paire plus achevée que la première.

Il ne prétend pas néanmoins pouvoir s'élever de terre par sa machine, ny se soutenir fort longtemps en l'air, à cause du deffaut de la force et de la vitesse qui sont nécessaires pour agiter fréquemment et efficacement ces sortes d'aisles, ou en terme de volerie pour planer. Mais il asseure que, partant d'un lieu médiocrement élevé, il passeroit aisément une rivière d'une largeur considérable, l'ayant déjà fait de plusieurs distances et en différentes hauteurs.

Il a commencé d'abord par s'élancer de dessus un escabeau, ensuite de dessus une table, après, d'une fenêtre médiocrement haute, ensuite de celle d'un second étage, et enfin d'un grenier d'où il a passé par dessus les maisons de son voisinage, et s'exerçant ainsi peu à peu, a mis sa machine en l'estat où elle est aujourd'huy.

Si cet industrieux ouvrier ne porte cette invention jusqu'au point où chacun se forme des idées, ceux qui seront assez heureux pour la mettre dans sa dernière perfection, luy auront du moins l'obligation d'avoir donné une veüe dont les suites pourront peut-être devenir aussi prodigieuses que le sont celles des premiers essais de la navigation. Car quoy que ce que nous avons dit du Dante de Pérouse, que le Mercure Hollandois de l'année 1673 rapporte d'un nommé Bernoin qui se cassa le col en vôlant à Francfort, ce que l'on a vu mesme dans Paris, et ce qui est arrivé en plusieurs autres endroits, fasse voir le risque et la difficulté qu'il y a de réüssir dans cette entreprise, il s'en pourroit enfin trouver quelqu'un qui seroit ou plus industrieux ou moins malheureux que ceux qui l'ont tentée jusqu'icy."

Journal des sçavans du lundy 12 décembre M.DC.LXXVIII, p. 426 et suiv. — À Paris, chez Jean Cusson, rue S. Jacques à l'image de S. Jean Baptiste, 1678. Avec privilège du Roy.

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